Rues animées, restaurants remplis, touristes qui se bousculent devant l’imposante cathédrale. A priori, Cologne respire la confiance et la prospérité. Mais à y regarder de plus près, les fissures sont bien présentes. Il y a d’abord les chiffres. Jadis moteur de l’Allemagne, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie laisse peu à peu cette place à la Bavière et ses fleurons économiques du sud du pays (Siemens, BMW,…). "A Cologne, il y a 12 % de chômeurs, plus que dans le reste du pays (NdlR : 6,8 %), explique Vennia Wenner, petite dame énergique aux lunettes aussi grandes que le visage.
Vennia s’occupe des plus démunis, des "oubliés du super-modèle économique allemand", ironise-t-elle. Son bureau ne désemplit pas. "Une personne sur dix est pauvre à Cologne", explique l’assistante sociale. "Et, surtout, un enfant sur quatre vit dans un foyer paupérisé." Elle dénonce les "inégalités croissantes". A qui la faute ? La crise ? "Non, non, le coupable c’est Hartz IV", glisse la petite dame, le regard fixe. Hartz, le mot est lâché. Il sort comme une injure sur les panneaux de plusieurs partis de gauche et d’extrême gauche. Hartz, Peter de son prénom, doit être à la fois l’homme le plus détesté et adulé d’Allemagne. C’est sous l’impulsion de ce haut cadre de Volkswagen que le pays transforma, il y a près de dix ans, totalement son modèle économique et social.
"Les minijobs devenus des ‘shitty’ jobs"
A l’époque le social-démocrate Gerhard Schröder est aux manettes de l’Allemagne qui est considérée comme "le patient malade" de l’Europe. Son taux de chômage est supérieur à la moyenne européenne, supérieur même à celui de l’Espagne de José Maria Aznar. Aujourd’hui, le taux allemand est près de quatre fois inférieur à l’espagnol… Les réformes Hartz sont passées par là : limitations du temps des allocations de chômage, baisse de l’impôt des sociétés, stagnation des salaires, chômage partiel, création de minijobs,… Le but était de mettre le maximum d’Allemands au travail, tout en misant à fond sur l’exportation. Pour le gouvernement de l’époque, mieux valait "avoir un job mal payé et précaire, plutôt que de vivre d’allocations et d’être exclu socialement".
Mais l’effort sera trop pesant pour beaucoup de citoyens allemands qui ne pardonneront pas la dernière mouture des réformes (Hartz IV en 2005), la plus drastique aussi : Gerhard Schröder ne sera pas réélu. L’héritage est pourtant là. Il y a le côté pile : l’Allemagne a des statistiques, une compétitivité qui font pâlir d’envie les autres pays européens. Son modèle est loué par de nombreux économistes et hommes politiques. Et puis il y a le côté face, dénoncé par les syndicats, la "précarité" qui s’accroît dans le pays, tout comme l’écart entre riches et pauvres. En ligne de mire de beaucoup d’organisations, ces fameux minijobs, payés maximum 450 euros par mois, dispensés de charges sociales, et qui concernent 7,5 millions d’Allemands.
A Cologne, tout le monde semble avoir son avis sur la question. "Les minijobs sont devenus des ‘shitty’ jobs (emplois pourris)", explique Henrik Wittenberg, tout en distribuant des fascicules en faveur d’un revenu minimum européen. Le jeune homme s’interroge sur les futures retraites "ridicules" de ces "minijobeurs". Selon lui, la classe moyenne allemande a un "problème psychologique. Elle vit dans l’illusion de rattraper les plus riches. Mais en fait, la plupart sont à deux doigts de sombrer dans la précarité. Les Allemands ne veulent pas voir cette réalité."
Plus loin dans la rue principale, le parti populiste "Die Partei" invite les passants à laisser leurs chewing-gums usagés sur la photo de la chancelière Angela Merkel. "Ce parti n’est pas sérieux", explique un militant du parti chrétien-démocrate (CDU), barbe bien taillée. "Notre campagne, nous la faisons en répondant aux questions des gens, pas en insultant les autres." Et les minijobs ? "Bien sûr ce n’est pas l’idéal, mais c’est mieux que rien, non ?"