EUROPE 1 le 2 août à 9H
Interview de Jean Bassères par Julian Bugier
Julian BUGIER
On parle emploi ce matin avec un rapport choc publié cette semaine, un rapport inquiétant aussi sur la violence dont sont victimes les agents de POLE EMPLOI : 8.442 incivilités enregistrées l’an dernier soit 13% de plus en un an.
Agent POLE EMPLOI
On est dans des conditions de travail qui sont déplorables, on accueille les gens de façon déplorable. Les gens ne sont pas contents, ne sont pas satisfaits et c’est normal.
Agent POLE EMPLOI
Aujourd’hui, nous avons du fait de la dégradation de la qualité de service, du fait des rythmes de travail, une agressivité de plus en plus forte.
Agent POLE EMPLOI
On est surbooké et on ne peut pas faire notre travail correctement.
Julian BUGIER
Voilà pour ces quelques témoignages. Bonjour Jean BASSERES.
Jean BASSERES
Bonjour.
Julian BUGIER
Vous êtes directeur général de POLE EMPLOI. D’abord, est-ce que cette montée des incivilités vous inquiète ?
Jean BASSERES
Moi je suis toujours inquiet quand des conseillers de POLE EMPLOI sont confrontés à de la violence verbale ou physique. Il faut quand même relativiser cette montée des incivilités. Vous avez cité un chiffre tout à l’heure vous-même, de 8.400 agressions de toutes natures, verbales ou physiques, sur un an ; c’est un chiffre qui est issu de POLE EMPLOI. Si on rapporte ça à l’ensemble des contacts que nous avons annuellement avec les demandeurs d’emploi, ça relativise quand même la portée de ce chiffre. Ayez en tête qu’on a chaque année à peu près 46 millions de contacts avec les demandeurs d’emploi, ça fait 200.000 par jour. Donc il ne faut pas nier le fait que c’est un métier difficile d’être conseiller, qu’on doit gérer des difficultés sociales, de la désespérance sociale, que ça suscite chez les demandeurs d’emploi qui sont en situation difficile, des réactions quelquefois dures, violentes, que notre travail à nous, c’est de rassurer ces demandeurs d’emploi, de protéger la sécurité des agents…
Julian BUGIER
Et de les accompagner pour un retour à l’emploi…
Jean BASSERES
Et de les accompagner pour un retour à l’emploi naturellement.
Julian BUGIER
Jean BASSERES, est-ce que cette montée de la violence est directement liée selon vous à la hausse du chômage ?
Jean BASSERES
Elle est liée incontestablement à la dégradation de la situation économique, à la poussée du chômage même si on ne peut pas faire de corrélation dans les zones géographiques entre augmentation du chômage et augmentation de la violence et de l’incivilité.
Julian BUGIER
Sur ce point, est-il vrai que vous avez installé des sonnettes discrètes pour que des agents puissent prévenir si un entretien se passe mal ? Un système d’alarme c’est ça ?
Jean BASSERES
C’est exact, on a un système d’alarme qui permet à un conseiller qui se sent en danger, d’alerter immédiatement via ce système l’ensemble de ces collègues. On a des dispositifs qui permettent aussi dans les agences de POLE EMPLOI, d’avoir des espaces de dégagement, ce qui permet au conseiller de quitter l’espace d’entretien avec un demandeur d’emploi si les choses se passent mal.
Julian BUGIER
Combien d’agents POLE EMPLOI pour combien d’agences aujourd’hui en France ?
Jean BASSERES
Nous avons aujourd’hui à peu près 50.000 agents POLE EMPLOI pour un nombre d’agences de proximité, c'est-à-dire en contact direct avec les demandeurs d’emploi et les entreprises, autour de mille.
Julian BUGIER
On sait que les agents sont souvent débordés, on en a entendus. Est-ce que les moyens sont à la hauteur des enjeux ?
Jean BASSERES
Les moyens, il faut le rappeler, ont été considérablement augmentés ces dernières années puisqu’en deux ans ont été créés à POLE EMPLOI, quatre mille postes de conseiller.
Julian BUGIER
Mais c’est suffisant, Jean BASSERES ?
Jean BASSERES
Moi je pense que l’objectif qui est le nôtre, c’est de savoir quelles sont nos priorités et la grande nouveauté à POLE EMPLOI, depuis deux ans, c’est de considérer que tous les demandeurs d’emploi et toutes les entreprises n’ont pas les mêmes besoins et donc il faut qu’on oriente nos moyens sur les publics qui sont les plus en difficulté. C’est ça qu’on essaie de faire…
Julian BUGIER
C'est-à-dire ?
Jean BASSERES
C'est-à-dire ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi, ceux pour lesquels il faut intervenir…
Julian BUGIER
Le chômage de longue durée par exemple…
Jean BASSERES
Le chômage de longue durée…
Julian BUGIER
Les emplois non qualifiés…
Jean BASSERES
Exactement et c’est ce qu’on a fait en créant dans chaque agence – et ça c’est une grande nouveauté depuis deux ans – des postes de conseiller qui sont exclusivement consacrés à accompagner des demandeurs d’emploi en difficulté. Nous en avons aujourd’hui 3.400, conseillers, ça fait qu’on a 190.000 demandeurs d’emploi qui font l’objet d’un accompagnement personnalisé et le plus soutenu possible et notre objectif, c’est de monter ce chiffre et la dernière Conférence sociale nous a demandé d’ailleurs d’ici la fin de l’année de permettre à 80.000 nouveaux demandeurs d’emploi de bénéficier de cet accompagnement qui est le plus personnalisé.
Julian BUGIER
Avec une moyenne quand même Jean BASSERES, du nombre de chômeurs suivis par un conseiller, de 117 je crois… un agent, un conseiller, pour 117 chômeurs !
Jean BASSERES
De mon point de vue ça ne veut rien dire, ce chiffre et je vais essayer de vous expliquer pourquoi, parce que justement nous avons mis en place un accompagnement des demandeurs d’emploi qui distingue trois modalités d’accompagnement, donc ce n’est pas la moyenne globale qui fait sens, c’est la moyenne par modalité d’accompagnement. Dans l’accompagnement renforcé dont je vous parlais, on a dit : un conseiller doit suivre au maximum 70 demandeurs d’emploi. La moyenne nationale, c’est moins de 60. Et à l’extrême, vous avez des demandeurs d’emploi qui sont autonomes, qui n’ont pas besoin d’un accompagnement régulier et là effectivement on a dit que le conseiller peut suivre entre 200 et 350 demandeurs d’emploi…
Julian BUGIER
Mais est-ce que c’est suffisant, Jean BASSERES, au vu de la désespérance et des problèmes de chômage que rencontre la France ? J’ai vu qu’en Allemagne – vous allez me dire si je me trompe – mais j’ai fait un petit comparatif avec l’Allemagne - étude 2011 de l’inspection des finances, en France, 221 agents pour 10.000 chômeurs contre 420 en Allemagne.
Jean BASSERES
2011. Depuis, 4.000 CDI créés à POLE EMPLOI, donc on n’est plus dans ces comparaisons. Ce qui est important, c’est savoir ce qu’on fait des moyens qui nous sont donnés. Et le vrai débat qui existe au sein de POLE EMPLOI, c’est de savoir si on accepte ou pas d’avoir un traitement différencié des demandeurs d’emploi en fonction des besoins. C’est ça pour moi la ligne de partage. Vous avez aujourd’hui des demandeurs d’emploi qui sont inscrits à POLE EMPLOI, qui sont qualifiés, qui n’ont pas de difficultés structurelles à retrouver du travail, pourquoi consacrer à ces personnes autant de temps que pour ceux qui ont des problèmes de qualification et les chômeurs de longue durée ? C’est ça, la vraie rupture qu’on a introduite. Moi, en arrivant à POLE EMPLOI il y a trois ans, je rappelle que l’offre de service était : tout le monde est traité pareil ! On est sorti de cette logique.
Julian BUGIER
On va parler Jean BASSERES, dans un instant, de la répartition géographique et des moyens que vous mettez en place pour s’en sortir. D’abord quelques propos de chômeurs un peu désabusés quand même.
Demandeur d’emploi
Ce serait mieux qu’ils enlèvent le serveur vocal et qu’ils mettent quelqu’un à la place.
Demandeur d’emploi
Il n’y a rien, rien, que l’ANPE ne puisse faire ; mais par contre, quand il s’agit de punir ou de radier, ils radient vite !
Demandeuse d’emploi
Moi personnellement, je me débrouille mieux par moi-même en cherchant sur internet, sur d’autres sites que sur POLE EMPLOI !
Julian BUGIER
Evidemment ce ne sont que quelques propos parmi tant d’autres…
Jean BASSERES
Ce qui est toujours fascinant, si vous permettez, c’est qu’à chaque fois, ce sont des propos qui vont dans le même sens. Nous, il se trouve qu’on fait des enquêtes de satisfaction ; je suis le premier à dire qu’on a des marges de progrès mais ce que j’observe, c’est qu’on a progressé de trois points et vous avez 67% des demandeurs d’emploi qui sont satisfaits du service de POLE EMPLOI…
Julian BUGIER
Vous dites qu’on a trop tendance à voir la face sombre de POLE EMPLOI….
Jean BASSERES
Oui, c'est-à-dire que 67%, ça veut dire que vous avez deux demandeurs sur trois qui quand ils sont interrogés, devraient dire que globalement ils sont satisfaits et là, à chaque fois, on me fait écouter des témoignages de personnes – et je ne conteste pas ces témoignages – qui vont dans un sens. Donc oui, on a des progrès à faire mais on a fait beaucoup de progrès et il ne faut pas les oublier.
Julian BUGIER
Il y avait quelque chose qui m’intéressait dans ces témoignages tout de même, Jean BASSERES, c’est sur les radiations – elles ont bondi de 14% le mois dernier – il y a toujours une petite suspicion sur les radiations, on dit que c’est pour sortir les gens des listes ; quelle est votre réaction et votre commentaire sur ce point ?
Jean BASSERES
Cette suspicion, je ne la comprends pas puisque nous avons eu un rapport fait par le Médiateur de POLE EMPLOI, qui est quelqu’un d’indépendant, des rapports parlementaires qui ont écrit noir sur blanc : il n’y a pas de politique de radiation à POLE EMPLOI. Et 90% des motifs de ces radiations c’est le fait de ne pas se rendre à une convocation de POLE EMPLOI.
Julian BUGIER
Un mot des disparités parfois criantes ; la carte de répartition a été publiée cette semaine. Dans le Nord – Pas-de-Calais par exemple : chômage record, chômage record, 12,8% et seulement un conseiller pour 133 chômeurs – alors j’ai vu que ça montait jusqu’à 230 chômeurs par agent par exemple à la Réunion. Pourquoine pas répartir les moyens là où sont les besoins les plus importants ?
Jean BASSERES
Deux-trois commentaires si vous permettez… d’ailleurs vous continuez à raisonner en moyenne toutes modalités d’accompagnement, ce qui encore une fois pour moi n’a pas de sens…
Julian BUGIER
C’est vous qui avez publié cette enquête…
Jean BASSERES
Oui mais nous, on publie par modalité d’accompagnement. Ce qui m’intéresse dans le Nord – Pas-de-Calais, c’est la moyenne pour l’accompagnement renforcé, pour les autres modalités. Deuxièmement, notons ensemble qu’on est le seul service public je crois, à être aussi transparent. Nous sommes le seul service public qui publie régulièrement l’évolution de sa charge.
Julian BUGIER
Donc vous dites que les moyennes ne veulent rien dire, il faut regarder au cas par cas…
Jean BASSERES
Non, non… Troisièmement, il y a des inégalités territoriales, beaucoup moins fortes que ce qu’on dit – si vous regardez au niveau des régions ou des départements, les moyennes par modalité, vous verrez que les écarts sont beaucoup plus faibles – et ces écarts, il faut bien sûr les corriger. C’est ce qu’on a fait. Et si vous observez précisément la publication que nous avons réalisée il y a quinze jours et celle que nous avons réalisée il y a quelques mois, on note qu’on a corrigé parce qu’effectivement aujourd’hui, on répartit mieux les moyens en fonction des besoins.
Julian BUGIER
Beaucoup disent que la formation, c’est le vrai sujet pour un retour à l’emploi, est-ce que c’est vrai ?
Jean BASSERES
Pour certains demandeurs d’emploi. Moi je crois que le risque qu’on a collectivement c’est d’avoir des généralisations qui concerneraient tous les demandeurs d’emploi. Vous avez des demandeurs d’emploi aujourd’hui qui n’ont pas besoin d’être formés pour retrouver un emploi ; en revanche – et ça revient à mon idée qui est toujours la même, centrer les besoins là où ils sont les plus évidents – vous avez des demandeurs d’emploi qui ont besoin de formation et il faut pouvoir leur donner la possibilité d’améliorer leurs qualifications.
Julian BUGIER
François HOLLANDE avait promis de renforcer les moyens de POLE EMPLOI, c’était l’engagement 35 me semble-t-il, il a donc tenu promesse, Jean BASSERES ?
Jean BASSERES
Oui, 4.000 CDI, c’est un vrai renforcement.
Julian BUGIER
Quand vous voyez chaque mois les chiffres du chômage qui augmentent, est-ce que pour l’homme que vous êtes, c’est un crève-cœur ?
Jean BASSERES
Bien sûr, parce que des chômeurs, j’en rencontre beaucoup et je sais le drame social qu’est le chômage. Donc de voir effectivement moi après moi les chiffres des demandeurs d’emploi augmenter ne peut être qu’un crève-cœur et ne peut être aussi qu’un renforcement de la motivation qui est la nôtre pour au quotidien se battre – et c’est ce que font tous les conseillers de POLE EMPLOI – se battre pour aider les demandeurs d’emploi et les entreprises, on n’en a pas parlé ce matin mais c’est important, à faire en sorte que le chômage diminue dans ce pays.
Julian BUGIER
Merci Jean BASSERES.
Jean BASSERES
Merci à vous.