L'Humanité 5 décembre 2014
Les nouveaux effets pervers de la convention d'assurance chômage
Alors que la convention d'assurance chômage est attaquée en justice par la CGT et par les associations, ces dernières tirent la sonnette d'alarme. Même les mesures de cette convention présentées comme positives engendrent des pertes de droits pour les chômeurs.Depuis le 1er novembre, son allocation d'environ 500 euros a chuté de près de 200 euros. « Ma conseillère m'a confirmé que c'était dû aux nouvelles règles d'indemnisation, alors que j'avais entendu dire qu'elles seraient plus intéressantes, soupire Sylvie. Quand je lui demande des précisions, elle me répond qu'elle n'y comprend rien ! Deux cents euros d'allocation envolés, c'est ça en moins pour payer la maison de retraite de ma mère. J'ai voté Hollande et je trouve cette injustice extrêmement choquante. » 1,7 million de personnes cumulant un petit contrat et une allocation chômage sont concernées par cette refonte du calcul de l'activité réduite. Certains critères ont été assouplis pour permettre à plus de précaires d'entrer dans le dispositif. Mais les allocations sont souvent moins élevées, en contrepartie d'un allongement de la durée de versement. Ce changement de règles devait avant tout « inciter les chômeurs à la reprise d'emploi », idée chère au Medef et au gouvernement.Après une carrière dans le prêt-à-porter et deux ans de chômage, Sylvie n'a pas réussi à retrouver un emploi à temps complet. « Je me demande pourquoi je m'embête encore à bosser à mon âge, ça me prend trop la tête. »La quinquagénaire n'est pas la seule à subir le revers de bâton de la convention d'assurance chômage. Le piège des droits rechargeables, vendu pourtant aux demandeurs d'emploi comme une grande avancée, s'est déjà refermé sur de nombreux précaires. Avant, la procédure de « réadmission » était en vigueur : un capital de droits était calculé en fonction de la période d'indemnisation la plus favorable. Désormais, avec les droits rechargeables, si une personne a accumulé deux périodes de droits au chômage, elles se succèdent l'une à l'autre. Sur le papier, le demandeur d'emploi devrait être mieux protégé. Mais le compte n'y est pas. « Nous rencontrons ce problème au quotidien, explique Emmanuel M'hedhbi, du SNU Pôle emploi, il y a, par exemple, le cas d'un chômeur qui était aide à domicile. Il a perdu son travail, ensuite, il a occupé un emploi de comptable mieux rémunéré que le précédent avant de retomber à nouveau au chômage. Avec les droits rechargeables, il sera d'abord indemnisé avec les droits ouverts pour son premier emploi, celui dont le salaire est moins élevé. »Les intermittents du spectacle sont clairement menacés par la mise en place de ce dispositif. La permanence du CIP-IDF, Comité des intermittents et précaires d'Île-de-France, est assaillie par les artistes et techniciens lésés. La mécanique est perverse. Beaucoup d'intermittents ont des petits boulots à côté, donnant par exemple des cours de guitare ou de cinéma, un travail généralement indemnisé par le régime général de l'assurance chômage. Au moment du recalcul de leurs droits, ils ont besoin de 507 heures réalisées en dix mois et demi pour rester dans le régime de l'intermittence. Si ce quota d'heures n'est pas rempli, Pôle emploi peut piocher dans ces droits accumulés au régime général grâce aux cours dispensés. Les heures d'intermittence seront donc perdues et les artistes se retrouvent bloqués dans le régime général avec des allocations plus faibles.Pour Sofi Vaillant de la CIP, « maintenant, les gens vont y réfléchir à deux fois avant d'accepter des contrats hors intermittence. C'est une chausse-trappe pour faire sortir les intermittents des annexes 8 et 10 et empêcher de nouveaux d'y entrer. Ça fait des années que le Medef veut grignoter nos droits, il y arrive d'une manière ou d'une autre ».Laurence, trente-six ans, costumière, ne sait pas comment se dépêtrer de ce bourbier. Après une rupture conventionnelle dans une coopérative de paniers de légumes, elle enchaîne presque immédiatement sur une formation dans un atelier de confection, puis trouve un contrat. Quand il finit le 30 septembre, elle dépose son dossier à Pôle emploi le 6 octobre. Mais ne peut pas bénéficier du régime intermittent. « On me dit que c'est trop tard, que les nouvelles règles du 1er octobre, les droits rechargeables, s'appliquent. Je devrais donc épuiser mes droits au chômage suite de ma rupture conventionnelle, soit 672 jours, avant de prétendre au régime intermittent, je l'ai très mal pris ! » Si elle a entamé des recours auprès de Pôle emploi, en attendant, elle touche ses 868 euros d'allocation au lieu des 1 330 auxquels elle aurait pu prétendre en tant que costumière.« Les droits rechargeables doivent pousser les gens à retravailler, moi, ça m'incite plutôt à rester chez moi en attendant d'avoir liquidé mes droits. Je ne sais pas comment je vais rebondir. » Philippe Sabater du bureau national du SNU Pôle emploi se souvient de la « campagne communicationnelle faite autour des droits rechargeables. Or, on assiste à des économies sur les droits des plus précaires. Il faut être costaud en tant que chômeur pour se battre contre le système ». Les conseillers Pôle emploi manquent eux aussi d'armes pour décrypter la complexité d'indemnisation. Les agents chargés de la gestion des droits n'ont bénéficié que de trois jours de formation, les autres, de deux jours. « Pôle emploi est dirigé par des gestionnaires malades du chiffre, les horaires d'ouverture des agences vont encore être réduits, la dématérialisation du suivi des chômeurs, avec le 100 % Web, est en train de se généraliser, on assiste à la désagrégation du service public. » Pour dénoncer ces dérives, les agents de Pôle emploi et les chômeurs manifesteront, samedi, ensemble à Paris.par Cécile Rousseau